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2.

La méthode

La méthode a été définie par Esther Bick dans son article de 1963, écrit après une pratique de 15 ans de la méthode. L’ensemble de sa pensée et de sa méthode est posé dans une remarquable cohérence dans cet article comportant des ouvertures que nous explorons encore aujourd’hui. 

 

1. Quel est son but ?

Le but premier de cette observation est un but de formation (et non pas un but de recherche scientifique ou une thérapeutique) : « le véritable but de l’observation d’un bébé tel que j’ai été amenée à le voir en travaillant est avant tout de vraiment apprendre à observer » (Haag p.279). 

 

L’idée de base d’Esther Bick a été que l’observation directe d’un bébé dans sa famille serait fondamentale pour la formation des psychanalystes: « L’étudiant apprend à regarder et à ressentir avant de se lancer dans des théories » (Bick, 1963) … vous partez avec : « je ne sais pas, je veux voir » et afin de savoir, vous avez à voir chaque petite chose, - se répète-t-elle, ne se répète-t-elle pas… Autrement, ce ne sont que des clichés. Qui sont un très grand danger en psychanalyse, de ne faire que répéter des clichés ».

«Quand face à l’anxiété d’un patient vous en employez au lieu de simplement admettre « je ne sais pas, nous verrons » et de ne pas garder cela comme un secret, mais d’en faire part au patient : « nous ne le savons pas encore, il faut que nous voyions » comme ça, vous n’accroissez pas la croyance du patient en votre omnipotence, comme un enfant peut le croire de sa mère ».  (Haag, 2002)

 

A partir de cet objectif premier, l’utilité de cette formation s’est élargie à beaucoup de catégories professionnelles. Le but est d’apprendre à voir, d’observer pour apprendre à agrandir son champ de vision, pour apprendre à ouvrir les yeux.

Nous avons tous à gagner à cet apprentissage, car on sait bien qu’on a une tendance « naturelle » à ne voir que ce qu’on s’attend à voir, c’est-à-dire à retrouver ce qu’on pense à priori, à ne retenir que ce qu’on connaît déjà…et à effacer de son esprit ce qui est nouveau.

 

2. Quel est son objet ?

Nous n’allons pas observer, comme certaines critiques de l’observation ont pu le laisser entendre, la vie psychique, ou les pulsions à leur origine, voire la construction de l’inconscient : nous allons observer, très finement, dans leur détail, des mouvements du bébé, des mimiques, des manifestations corporelles, des comportements. De même, nous n’allons pas observer des relations, des sentiments, l’amour maternel se donnant à voir dans son essence même : nous allons voir des mimiques, des mouvements, des comportements en direction de l’autre.Lorsque, rapportant des phénomènes que nous avons observés, nous décrivons un bébé joyeux, ou triste, ou lorsque nous disons que la relation entre le bébé et sa mère est chaleureuse, confiante …etc., nous ne nous rendons souvent pas compte que nous faisons déjà une interprétation, nous donnons déjà un sens aux données de base de notre observation.

« Il est difficile d’ ‘’observer’’, c'est-à-dire de recueillir des faits libres de toute interprétation. Dès lors que ces faits sont traduits en mots, nous remarquons que chacun d’entre eux est chargé d’un sens sous-jacent » (Bick, 1963)

 

L’observation, c’est revenir aux données de base, sans interprétation.
Avant que la mode ne soit de parler d’interactions, Esther Bick parle de l’observation de toute la famille :« c’est l’observation en vérité d’une famille où un enfant est né, non pas l’observation juste d’un bébé, tout simplement parce que ce n’est pas possible : vous avez toute la famille à observer » (Haag M, 2002)
La situation d’observation du bébé dans les conditions banales de sa vie dans sa famille constitue en soi un aspect extrêmement original de cette méthode et un apport formateur fondamental : à ma connaissance tous les professionnels de santé sont la plupart du temps formés à la connaissance de la pathologie, et à la connaissance de l’enfant en collectivité. Il en résulte un biais et une déformation systématiques de tous les professionnels confondus : l’expérience de l’enfance banale, dans une famille, fait partie de l’expérience privée de chacun… ou non… Ce n’est jamais une référence ou une expérience professionnelle car les stages ont lieu en crèche, pouponnière ou hôpital…. Cela ne fait donc jamais l’objet d’un travail, d’une confrontation à l’expérience des autres, d’une réflexion insérée dans une méthodologie…c’est à dire d’un enseignement.
C’est paradoxal, car le champ d’intervention de ces mêmes professionnels sera souvent en lien avec la famille.
Se référer aux données de base de l’observation en famille va avoir un sens très fort d’ancrage des connaissances à partir de cette référence de la vie de tout enfant dans sa famille.

 

 

UNE MÉTHODE EN PLUSIEURS TEMPS

 

1. Recherche du bébé :

L’observateur formule sa demande à une ou des personnes de son choix dont l’une pourra être l’intermédiaire et le mettre en contact avec des futures mamans susceptibles d’accepter l’observation. La demande est formulée de façon très simple pour être aussi près que possible de l’essentiel : l’observateur a besoin pour lui, pour compléter sa formation de voir un bébé se développer dans sa famille, depuis sa naissance jusqu’à environ 2 ans.

 

Pourquoi avoir recours à un intermédiaire ?

  • certaines raisons tiennent à l’intérêt de l’observateur. Cela permet de préciser un certain nombre de critères concernant le choix de la famille : dans le cadre d’une observation de formation, nous allons chercher une famille « aussi simple que possible », pour que l’observateur ne soit pas confronté à des difficultés supplémentaires, une famille banale, où on ne trouve pas, a priori, de pathologie.

  • d’autres raisons sont liées à la famille. Une famille vivant des difficultés particulières sera amenée à une demande importante à l’égard de l’observateur, que celui-ci ne pourra satisfaire dans le cadre de cette méthode. Nous essayons d’éviter une situation où le transfert sur l’observateur serait trop massif, ou une situation ou une intervention thérapeutique serait nécessaire.

  • Il n’y a pas de critères sociaux, ethniques, ou de composition de la famille. Celle-ci peut ne pas avoir d’enfants, ou être une famille nombreuse, mais Esther Bick recommandait un écart suffisant entre l’enfant précédent et le bébé pour ne pas exacerber la jalousie normale de tout aîné.

 

Le recours à un intermédiaire est une protection, sur le plan technique pour l’observateur et pour la famille. Sur le plan éthique, où le respect des personnes est fondateur de l’esprit de la méthode, cela permet à la famille de refuser plus facilement la demande qui lui est faite, dans la mesure où elle est formulée par un intermédiaire qui n’est pas le demandeur.

 

Certains formateurs, dont moi-même, insistent particulièrement sur l’accompagnement des recherches de l’observateur par le groupe et le superviseur. Ainsi la rencontre avec les intermédiaires possibles fait déjà l’objet d’un compte-rendu et d’une réunion du groupe de travail. Cela permet à chacun de s’impliquer activement en se « mettant à la place » de l’observateur et à celui-ci d’entamer un travail psychique lui permettant d’occuper cette place singulière d’observateur.

Le temps d’attente du bébé considéré comme une « gestation psychique » serait ainsi un véritable premier temps de la méthode.

 

2. La séance d’observation : voir

L’observateur rencontre la famille et la future maman dans les derniers temps de la grossesse pour ne pas créer une attente trop importante qui pourrait laisser ensuite un sentiment de vide.

A partir de la naissance, les séances d’observation auront lieu une fois par semaine, au domicile (parfois, si la maman est d’accord, la première visite peut avoir lieu à la maternité). Elles durent environ une heure, et l’observateur ne prend aucune note pendant la séance (il s’agit d’apprendre à ouvrir les yeux ; si on note, on voit ce qu’on écrit et pas le bébé).

 

Esther Bick donnait deux consignes de base pour l’observateur :

«  Ce qui est fondamental à enseigner, ce qu’est l’observation, c’est de ne sauter à aucune conclusion, mais de venir avec une tabula rasa : vous ne savez pas, voilà tout. Parce que j’en suis venue à la conclusion que sans cette attitude : « je ne sais pas, je verrai d’après les preuves », aucun travail avec personne, quelle que soit sa capacité, n’est vraiment fructueux. Si vous venez avec vos concepts fixés ( l’objet interne sein, ou avec quoi que ce soit de tout prêt, alors tout simplement vous ne regardez pas les choses, vous ne les voyez pas » (Haag ; p.198)

Et « la règle n°2 pour l’observateur est d’être seulement là en receveur, de se laisser simplement emplir, déverser en soi, ne jamais demander un changement quel qu’il soit, ni quoi que ce soit, ne pas interférer, car si vous changez la situation, vous n’observez plus la situation telle qu’elle est » (Haag ; p.201)
Ces règles, tabula rasa, non-interférence, définissent un état d’esprit de la méthode, une philosophie de cette méthode basée sur un respect profond de l’autre, et son corollaire, une extrême modestie personnelle : cela va permettre, quelle que soit sa formation antérieure, de voir ce que l’on ne connaît pas.

 

3. Le compte-rendu : se souvenir

 

A la suite de la séance, de préférence tout de suite après, l’observateur rédige un compte-rendu de tout ce dont il peut se souvenir, sans faire de tri entre ce qu’il suppose présenter un intérêt ou non, sans chercher à y attribuer un sens a priori. L’observateur va ainsi refaire mentalement le film de la séance en notant tous les petits détails du comportement du bébé dans leur succession, les mimiques, les mouvements de main, les changements de position, les échanges avec la maman, ou les autres personnes présentes. Il va également noter tous les éléments de l’environnement, du décor, et leur changement ainsi que les paroles des protagonistes…

Enfin, la séance d’observation, avec son obligation de réserve et la position de retrait par rapport au faire et au dire, est une occasion unique de prendre conscience de la diversité, et souvent de l’intensité des sentiments éprouvés par l’observateur. Les considérer comme une part importante du matériel et les intégrer au compte-rendu permettra ensuite éventuellement de formuler des hypothèses sur l’impact émotionnel de la situation observée sur le fonctionnement psychique de l’observateur.

Ainsi, dans une séance d’observation, j’avais éprouvé une soif torturante, une frustration et un sentiment d’abandon transformés en colère et projetés sur la grand-mère du bébé, présente ce jour-là. Plus tard, ces sentiments ont pu apparaître en lien avec le sevrage du bébé. A partir de cette expérience, j’ai développé l’idée d’un lien primitif d’échange basique infra verbal entre personnes qui constituerait, en fonctionnant en continu, le premier moteur de la communication. (Prat Régine ; 1989)
Dans l’observation selon Esther Bick, l’instrument d’enregistrement spécifique est la subjectivité de l’observateur.

 

4. Le séminaire de supervision : élaboration.

 

Les comptes-rendus sont tous lus par l’observateur dans leur intégralité et discutés par un analyste superviseur qui a lui-même été formé à cette méthode (cela paraît une évidence mais l’expérience prouve qu’il vaut mieux le préciser). Cela constitue une occasion unique pour l’observateur de travailler et de développer sa capacité de continuité dans le processus d’attention : en effet les « trous » d’attention sont immédiatement repérés et interrogés. Cela constitue une grande différence avec les pratiques de résumé ou de « vignettes cliniques », courantes dans nos modes de travail de supervision ou d’exposé clinique. (Il semble que cela soit également une différence entre le type de travail de la Tavistock et les développements qui ont été faits en particulier par les formateurs francophones de l’AFFOBEB).

 

Différentes situations peuvent se présenter :

soit une supervision dans un séminaire qui réunit un ou 2 observateurs présentant leur matériel et des participants-auditeurs, soit un groupe constitué exclusivement d’observateurs. Dans tous les cas,  il s’agit de petits groupes. Nous allons travailler au cœur de l’intime de la relation entre un bébé et sa famille et le groupe doit respecter cette intimité et être lui aussi intime.

Les groupes peuvent se réunir toutes les semaines, ou toutes les 2 semaines, ou tous les mois quand il s’agit de supervision en province par un formateur parisien.

Les critères de constitution des groupes peuvent être divers : certains groupes sont réservés à des thérapeutes en formation, d’autres à des professionnels de la petite enfance ayant une expérience analytique personnelle, d’autres ne prennent pas le critère de l’analyse en considération pour les auditeurs mais le retiennent pour les observateurs …

 

C’est à ce stade que l’observation peut comporter un aspect « psychanalytique », à la fois dans son contenu et dans son mode de travail. En effet, si le contenu manifeste est représenté par les données brutes de l’observation rapportées dans le compte-rendu, le groupe va formuler des hypothèses sur le contenu latent et les mouvements psychiques sous-jacents à ce qui est observé, et repérer des liens entre les différents aspects du matériel. Chaque participant a pour la séance de travail un exemplaire photocopié du compte-rendu.

 

Le travail de pensée se fait par les associations que peut faire chacun entre ce qu’il entend du matériel et les données de sa propre expérience, professionnelle ou privée, (d’où l’intérêt des groupes mixtes, pluridisciplinaires), dans un aller-retour permanent avec le détail du matériel des comptes-rendus. On repère avec beaucoup d’attention tout ce qui concerne la place de l‘observateur, les éléments de son vécu, appelés « contre-transférentiels » dans un cadre psychanalytique et les éléments projetés sur lui, appelés « transférentiels ».
Chaque séance fait l’objet d’un compte-rendu qui sera lu en début de la séance suivante. Cela rétablit une continuité dans la lecture du matériel et permet un travail extrêmement rigoureux, où l’occasion d’un 2ème temps de pensée peut être prise en compte.

 

 

MÉTHODOLOGIES ET ÉTAPES OPTIONNELLES

 

Ce passage du « temps de voir au temps de penser » (Prat 1995), du voir au savoir, est un moment de créativité groupale souvent très intense. Chaque membre du groupe est engagé dans ce processus. Mais il est important de préciser que ce qu’on considère comme formation à l’observation, est le fait d’avoir été soi-même un observateur dans cette méthode. La position d’auditeur permet une approche et un trajet personnel, et constitue une sensibilisation, ainsi qu’une préparation recommandée à la position d’observateur.

Enfin, il n’est pas inutile de rappeler que la méthode d’observation d’un bébé dans sa famille selon Esther Bick n’existe que dans le respect des 3 étapes indispensables et indissociables : séance d’observation, rédaction de compte-rendu et séminaire de supervision.

Une réelle méthode de travail originale et spécifique peut être ainsi dégagée, qu’on pourrait dire « méthodologie de l’élaboration d’une pensée, d’un sens à partir de ce qui peut être vu ou entendu ». Il s’agit d’apprendre à voir, apprendre à se souvenir, apprendre à construire une pensée.

 

Le travail entre formateurs, que nous avons entrepris dans les réunions de l’AFFOBEB ainsi que dans les rencontres internationales lors des Congrès, apparaît dans cette perspective un temps très utile dans la constitution et le développement d’une pensée créative. Une réunion de travail sur le mode de séminaire technique est particulièrement féconde pour continuer ce développement des capacités de pensée à partir de l’échange avec d’autres. Cela constitue un garde-fou contre les pièges narcissiques et les effets de pensée sectaire résultant de l’isolement : ainsi le travail en commun sur une présentation de matériel d’observation évite à chacun de s’enfermer dans ses évidences, pour au contraire les confronter à celles des autres formateurs. Nous avons pu mesurer les effets bénéfiques de cette dialectique sur chacun d’entre nous à travers la modification de nos pratiques et l’enrichissement de notre réflexion théorique.

Il me semble justifié de l’inclure dans la méthodologie comme 4ème temps, (ou 5ème si on a considéré la recherche de la famille comme le premier temps).

Il y aurait donc 3 étapes obligatoires et 2 « optionnelles ».

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